Poèmes à la nuit

Du rêve. Il en faut encore, avant que le monde ait retrouvé sa normalité sociale. Rêver de beauté, d’amour, de liberté. C’est toujours bon à prendre.

(…) Le rêve est la traîne de brocart qui tombe de tes épaules
le rêve est un arbre, un éclat fugitif, un bruit de voix -;
un sentiment qui en toi commence et s’achève
est rêve ; un animal qui te regarde dans les yeux
est rêve ; un ange qui jouit de toi
est rêve. Rêve est le mot qui d’une douce chute
tombe dans ton sentiment comme un pétale
qui s’accroche à ta chevelure : lumineux, confus et las -,
lèves-tu seulement les mains : c’est encore le rêve qui vient,
et il y vient comme tombe une balle -;
tout, ou presque, rêve -,

                                                et toi, tu portes tout cela.

Tu portes tout cela. Et avec quelle beauté tu le portes.
Chargée de lui comme de ta chevelure.
Et cela vient des profondeurs, cela vient
des hauteurs jusqu’à toi et par ta Grâce…

Là où tu es, rien n’a attendu en vain,
nulle part autour de toi il n’est fait de tort aux choses
et c’est comme si j’avais déjà vu
que des animaux se baignent dans tes regards
et boivent à ta claire présence. (…)


Poèmes à la nuit, Rainer Maria Rilke, Editions Verdier page 67  Édition bilingue.

Traduit de l’allemand et présenté par Gabrielle Althen  et Jean-Yves Masson

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