ChatGPT un progrès vraiment?
Le nouveau joujou d’internet, ChatGPT ne fait pas que des adeptes, mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’il suscite un engouement massif : d’après le NY Times, chaque jour 30 millions de personnes l’utilisent. Et d’après l’analyste de UBS, Lloyd Walmsley, il a atteint 100 millions d’utilisateurs mensuels en janvier 2023, accomplissant en 2 mois ce qui a pris 9 mois à Tik Tok et 2 ans et demi à Instagram (1).
Ce nouvel « outil » de la société OpenAI, sorti en novembre 2022, est capable, à partir de toutes les données qu’il a ingéré dans l’internet, pour répondre aux questions qu’on lui pose, de générer des textes et des images, de coder et de programmer des ordinateurs, et même de servir d’interlocuteur. Ok, ses compétences ne sont pas sans failles, et ses réponses nécessitent des vérifications, mais il permet tout de même de faire gagner du temps et d’économiser des cellules grises dans des procédés de recherches, d’argumentation, de synthèses ou de création.
Qu’il ne soit pas infaillible ne devrait d’ailleurs pas déranger les consommateurs soumis d’internet. Combien déjà prennent pour argent comptant les définitions de Wikipédia, les fakenews de Facebook ou suivent religieusement les tendances dictées par Instagram et TikTok ? On n’en est plus à quelques approximations près. Voilà maintenant le « tool » de rêve qui permet de ne pas avoir à se servir de sa tête, tout en gagnant du temps et en ayant l’impression d’avoir fait son boulot. Des outils d’analyses et de contrôles existent déjà pour mesurer la présence de données générées par ChatGPT dans les devoirs d’étudiants. Impressionnant ! Des simulateurs d’examens lui accordent des diplômes de hautes études à minimum 40% !
Et tout ce temps gagné et cet effort de réflexion perdu, c’est pouvoir mieux s’abreuver de stories à la con, de séries surmédiatisées ou s’adonner à des jeux en ligne débilitant. C’est le sésame pour passer encore plus de temps dans des mondes virtuels.
En tous cas pour moi, ce genre de « progrès » contribue à grande échelle à abrutir les gens, à les uniformiser, à les aliéner, en leur vendant du rêve virtuel, et ce sans une once de regrets. Parce que l’insidieux là-dedans c’est que comme c’est « gratuit », tout le monde se jette dessus. Sauf que, comme tous les autres médias soi-disant sociaux, les marchés que cela ouvre sont gigantesques. Preuve en est, d’après l’agence Reuters, les revenus des potentiels investisseurs de ChatGPT devraient atteindre 200 millions de dollars en 2023 et un milliard en 2024. Bingo ! Même l’indétrônable Google commence à se faire du souci, c’est tout dire.
En résumé ChatGPT revient à remplacer l’intelligence humaine par des avatars de vie et de connaissances. Et au bout du compte, en étant très pessimiste, remplacer l’homme tout court. Combien d’activités humaines disparaissent ou ont disparu parce que remplacées par des robots ? Car en plus, à force de s’en remettre à l’internet et à la robotique, l’homme ne sait plus se servir de son propre cerveau. Il devient alors aussi malléable qu’un animal domestique, voire inutile. Que sont devenus d’ailleurs tous ces savants qui démontraient que l’homme n’utilise qu’une infime partie de son cerveau et incitaient à le stimuler davantage ? Ils ont dû se suicider de désespoir depuis le temps.
On n’en est pas au coup d’essai, l’IA est déjà à l’œuvre dans de nombreux domaines (traductions, VOiD,…) Le paradoxe quand même, c’est qu’en créant ce genre d’application pour remplacer le travail humain, forcément on détruit des emplois. Je pense à tous les métiers indépendants qui ont eu leurs heures de gloire, comme les traducteurs, copywriters, journalistes, graphistes et illustrateurs, webdesigners et codeurs, on parle d’ailleurs maintenant de prolétarisation des créatifs. Et les professions moins glamour comme le personnel d’accueil, employés de bureau, services clients et après-vente, dont la disparition a déjà été sérieusement amorcée, sans compter tous les emplois de l’industrie remplacés par des robots, on attribue de plus en plus aujourd’hui aux humains des rôles de contrôleurs de machines ou ce qu’on appelle couramment des « bullshit jobs ».
Mais tous ces gens doivent quand même continuer à travailler pour produire de la richesse, consommer, payer leur loyer et financer leur retraite, alors que l’essence même de leur travail est aliéné par la machine, sa valeur même délitée.
Dans des pays comme les Etats-Unis, pays d’origine de ces applications et du système capitaliste par excellence, celui qui perd son travail, ira en chercher un autre, n’importe lequel, et probablement prendre le moins gratifiant, parce qu’il n’aura pas le choix. Il aura encore un smartphone, prendra des crédits, qu’il remboursera avec intérêts. Et il bossera jusqu’à ce qu’il en crève.
Mais chez nous, en Europe ? Est-ce qu’on veut, est-ce qu’on doit se soumettre aux mêmes règles dictées par la finance ? Non, no et nada !
L’IA est dans l’absolu un progrès et ChatGPT pourrait être considéré comme un outil utile s’il permettait aux hommes de développer leur propre intelligence ou au moins de jouir de plus de temps libre, mais il est un outil dangereux dans la mesure où il sert surtout à faire gagner encore plus d’argent à ceux qui en ont déjà trop, tout en détruisant la valeur du travail, et à fortiori le tissu social.
Ou alors il faut que les propriétaires de ces applications soient prêts à dédommager les humains qu’ils remplacent massivement, et que les gouvernements prennent enfin la décision de les taxer à l’échelle des déficits sociaux qu’ils engendrent.
1- Source : Stephen Shankland, CNET, 10 Février 2023, https://www.cnet.com/tech/computing/why-the-chatgpt-ai-chatbot-is-blowing-everybodys-mind/)
A écouter :