Buller en l'air
Je n’en avais jamais rêvé, ne l’avais même jamais envisagé, un vol en montgolfière.
Pourtant un si joli nom.
Et quand dans le cadre d’un tournage sur un documentaire sur le Massif Central, l’occasion s’est présentée j’ai même commencé par refuser. Je redoutais d’être prise de panique au milieu du vol, voire dès le début, et de stresser la pilote et les autres passagers. La peur du vide, le vertige, le mal de l’air, ces mal-êtres qui en tourmentent plus d’un même sur des monuments du type Tour Eiffel, quand on n’est séparés du vide que par une balustrade qui paraît si dérisoire. J’ai quand même fini par accepter après qu’on m’ait collé une caméra entre les mains avec la mission de faire quelques images. Tu vas voir, c’est magique, insistait le réalisateur.
Il s’agissait d’un rassemblement de montgolfières, une cinquantaine, pour un week-end de compétitions de pros du ballon près du Puy en Velay. Courses-poursuite et chasse au trésor avec lâcher de bombes de peinture sur méga cibles dans des lieux inatteignables. Cette réunion se tient tous les ans en fin de saison touristique quand les pilotes n’ont plus de passagers à balader, à un moment où la nature est encore plus belle à survoler, à l’été indien.
Nous sommes grimpés les uns après les autres dans la nacelle en osier, déjà encombrée par trois grosses bonbonnes de gaz. Le ballon sous l’effet des souffleurs commençait à se détacher du sol. Il y avait foule sur le terrain boueux au bord de la Loire, et un joyeux chaos entre les voitures et leurs remorques embourbées, les accompagnants, les souffleurs électriques, les ballons dégonflés étalés sur toute leur envergure-hauteur. Certaines équipes plus rapides avaient déjà réussi leur décollage et quelques sphères colorées s’élevaient déjà dans le ciel gris.
Dans la nacelle nous étions 4, dont la pilote, et un photographe très corpulent qui prenait beaucoup de place. Malgré son poids, qui peut paraître contre-indiqué pour des raisons élémentaire de gravité, c’était un habitué et même le photographe attitré de la région pour ce type d’évènements y compris pour les photos aériennes du Puy en Velay. On peut comprendre sa jubilation à s’envoyer en l’air en défiant toutes les pesanteurs…
Au moment du largage des amarres, la nacelle a fait un petit bond et mon cœur est tombé dans mon estomac. J’ai juste demandé combien de temps durerait le vol en fixant l’horizon. Puis j’ai osé regarder vers le bas qui doucement prenait de la hauteur, je me suis accrochée à mon appareil photo et petit à petit mon cœur est remonté à sa place. Notre pilote tenait en permanence la manette des gaz, qu’elle actionnait à intervalles réguliers pour permettre à notre attelage de monter et de trouver le bon courant d’air qui nous porterait. Notre handicap de poids ne nous permettait pas vraiment de prendre part à la course, mais le spectacle de toutes ces grosses bulles d’air disséminées tout autour à différentes hauteurs sur les reliefs verts et roux du Velay suffisait à ravir les esprits et les sens. Charlotte la pilote expliquait la navigation et moi je tâchais de filmer notre trajectoire surplombant la Loire et les forêts de feuillus aux couleurs éclatantes. Le mal de l’air ne m’avait pas eue, je me sentais complètement à l’aise dans ce cheminement aérien tout en douceur, fascinée par le paysage varié et les luminosités changeantes dues aux nuages.
Aujourd’hui je me demande si la banalisation extrême des prises de vue de drones n’a pas amoindri l’effet magique dont me parlait le réalisateur : les paysages vus d’en haut ne m’impressionnaient pas tant que ça. Mais il n’en reste pas moins que de se déplacer en l’air est une sensation physique jubilatoire. C’est un rêve humain de tous les temps, faire comme l’oiseau. Défier la pesanteur, traverser les nuages ou la brume, prendre de la hauteur, voir notre environnement sous un autre angle. Et là, à la différence d’un vol en avion, on est à même l’espace, un peu comme lorsqu’on nage nu dans la mer. Dans un panier accroché à une bulle d’air chaud, dans cet air brut des monts du Massif Central, survolant des étendues de champs et de prairies, des bosquets et des collines boisées, des pierriers immenses, et un fleuve encore jeune qui cherche son chemin entre les reliefs adoucis de ces montagnes érodées, et se dire qu’on pourrait caresser la cime des arbres . Nous avons traversé des rayons de soleil, vu venir la pluie, et pris l’averse.
Nous avons dû atterrir au bout d’une heure et demie, la réserve de gaz étant arrivée à sa limite à force d’essayer de trouver le bon filon d’air tout en maintenant le ballon à une hauteur raisonnable. Les autres montgolfières étaient pour la plupart déjà loin, une seule longeait les méandres du fleuve entre des berges étroites et une autre au raz des arbres tentait encore sa chance de trouver le courant porteur capricieux.
Notre atterrissage s’est fait dans un champ au bord d’une falaise. Notre photographe, qui ne manquait pas d’autodérision, nous a fait remarquer que son poids pouvait être aussi un avantage pour le vol en montgolfière en matière de lestage ou de largage de leste. En l’occurrence il nous a permis d’éviter le crash dans un bosquet d’arbre en précipitant la descente et de faire se coucher la nacelle pour qu’elle s’immobilise. Nous étions sains et saufs, il ne nous restait plus qu’à attendre notre véhicule avec son attelage pour remballer le panier, les bouteilles de gaz et la baudruche dégonflée et soigneusement repliée.
Charlotte a fourni à son coéquipier au sol notre position GPS et « demmerdes-toi coco » pour trouver l’accès au champ au milieu duquel nous nous trouvions. Cela a pris un certain temps. Le temps d’apprécier de m’être fait violence et ravie d’avoir ajouté la sensation d’apesanteur à ma collection d’expériences.
Activité à découvrir de mai à septembre, en fonction de la météo, en Auvergne ou ailleurs.
Mes images seront visibles dans le documentaire « Massif Central » par Along Mekong Productions sur Arte (date à venir)