Clarice Lispector a 100 ans

Clarice Lispector – Un nom pourtant facile à retenir, tant il est évocateur, un nom d’héroïne d’aventures fantastiques, mais que je n’avais pas encore rencontré. Elle aurait eu cent ans le 10 décembre, l’occasion pour les littéraires d’en parler et pour moi de la découvrir.

La présentation qu’en fait Hélène Cixous est prometteuse :

«Si Kafka était femme. Si Rilke était une Brésilienne juive née en Ukraine. Si Rimbaud avait été mère, s’il avait atteint la cinquantaine. Si Heidegger avait pu cesser d’être allemand, s’il avait écrit le Roman de la Terre. […] C’est par là que Clarice Lispector écrit. Là où respirent les œuvres les plus exigeantes, elle avance. Mais ensuite, là où s’essouffle le philosophe, elle continue, plus loin encore, plus loin que tout savoir. […] Elle ne sait rien. Elle n’a pas lu les philosophes. Et cependant on jurerait parfois les entendre murmurer dans ses forêts. Elle découvre tout.»

Tout comme celle de son biographe Benjamin Moser en préface à l’édition complète de ses nouvelles : « Sa littérature est un art qui nous fait désirer connaître la femme ; elle est une femme qui nous fait désirer connaître son art. Le présent ouvrage offre une vision des deux à la fois : un portrait inoubliable, dans et par son art, de cette grande figure, dans toute sa tragique majesté. »

Et son histoire n’est pas banale ; née en Ukraine de parents juifs, qui émigrent au Brésil quand elle a quelques mois, une enfance et une adolescence marquées par des violences, la faim, la perte de ses parents et puis la vie de femme de diplomate. Son seul objectif est d’écrire.

Clarice Lispector tapant à la machine, Brésil. Archives familiales

« Je repousse l’heure de me parler. Parce-que j’ai peur ?
Et parce-que je n’ai pas un mot à dire.
Je n’ai pas un mot à dire, alors pourquoi ne pas me taire ? Mais si je ne fais pas violence aux mots, le mutisme m’engloutira au fond des eaux. Les mots et la forme seront la planche qui me permettra de flotter sur les flots déchaînés du mutisme.
Et si je repousse le moment de m’y mettre, c’est aussi que je n’ai pas de guide. Les autres récits de voyageurs me livrent peu de détails au sujet du voyage : toutes les informations sont terriblement incomplètes.
Je sens qu’un début de liberté me vient petit à petit… Car jamais autant qu’aujourd’hui cela ne m’a été égal d’offenser le bon goût : j’ai écrit  » les flots déchaînés du mutisme », ce que je n’aurais jamais dit avant parce que j’ai toujours respecté la beauté et sa modération intrinsèque. J’ai dit « les flots déchaînés du mutisme », humblement mon coeur s’incline, et j’admets. Aurais-je enfin perdu tout un code du bon goût? Mais, cela sera-t-il mon seul gain ? Combien j’ai dû vivre bâillonnée pour me sentir désormais plus libre uniquement parce que je fais bon marché d’une entorse à l’esthétique. (…) Je veux savoir ce qu’à perdre, j’ai encore gagné. Pour le moment, je ne sais pas : c’est seulement en me faisant revivre que je vais vivre. »

Extraits de « La passion selon G.H. » Editions Des Femmes – Antoinette Fouque

Les éditions Des Femmes-Antoinette Fouque sortent à l’occasion du centenaire de cette immense figure de la littérature brésilienne un coffret contenant deux de ses plus grands romans, « La passion selon G.H. » et « L’heure de l’étoile », un texte de son fils écrit pour le centenaire et un recueil de photos. A commander donc sans tarder !